Lucie Fabry et Sophie Roux (éds.) Bachelardismes et anti-bachelardismes. Controverses épistémologiques des années 1960. Paris, Classiques Garnier, 2024
Résumé :
Si la référence à Gaston Bachelard était fréquente dans les années 1960, ce n’était pas pour autant un phénomène intellectuel univoque. Bien au contraire, les thèses bachelardiennes provoquèrent de vives controverses dans les différents domaines où elles furent mobilisées, qu’il s’agisse de l’histoire et la philosophie des sciences et des techniques, du marxisme, de la sociologie ou encore de la question de l’imaginaire. Les réceptions plurielles de l’œuvre de Bachelard ont ainsi marqué les trajectoires intellectuelles de Georges Canguilhem, de Louis Althusser, de Gilbert Simondon, de Pierre Bourdieu, de Jean-Claude Passeron et de certains de leurs contemporains moins connus. Elles ont tracé des lignes de partage encore actives aujourd’hui.
Table des matières et résumés :
Introduction
Lucie Fabry et Sophie Roux
L’épistémologie bachelardienne a fait l’objet depuis les années 1960 de réceptions plurielles et de controverses, en particulier dans quatre domaines : l’histoire et la philosophie des sciences, le marxisme, la sociologie et, finalement, les études de l’imaginaire.
L’histoire des concepts scientifiques de Georges Canguilhem, rupture ou continuité avec le bachelardisme ?
Samuel Talcott
Canguilhem a proposé des commentaires de l’œuvre Bachelard en 1963, qu’on lire en regard de ses propres écrits sur la médecine et la biologie, des années quarante jusqu’au début des années soixante. Canguilhem a reproché à Bachelard d’avoir négligé l’importance épistémologique de l’erreur, mais ces critiques peuvent dans une certaine mesure être considérées comme des autocritiques de certains aspects des premiers textes de Canguilhem sur l’histoire des sciences.
L’historicité des sciences comme problème chez Canguilhem
Sophie Roux
L’historicité des sciences chez Canguilhem doit être traitée indépendamment de l’héritage bachelardien : s’il a érigé la récurrence en méthode, il a aussi montré les risques que celle-ci fait courir à l’histoire. Canguilhem conçoit l’histoire des sciences comme une aventure, reposant sur une dualité entre une action créatrice mais risquée et une réflexion prudente mais improductive, conception qui peut finalement être comparée à celle de Cavaillès.
L’envers de la phénoménotechnique. Du mode d’existence des instruments scientifiques dans l’épistémologie française
Ronan Le Roux
L’explicitation des coordonnées d’émergence du concept de phénoménotechnique met en évidence les évolutions et les continuités dans les présupposés bachelardiens concernant les rapports de la technique à la science. Bien que des auteurs aussi significatifs que Georges Canguilhem, Pierre Ducassé, Gilbert Simondon et Maurice Daumas aient formulé des arguments antagonistes à la conception de la technique portée par le rationalisme appliqué, le débat est resté larvé tout ce temps.
Le bachelardisme problématique de Louis Althusser
Simone Mazauric
Althusser et ses élèves ont fait des emprunts à Bachelard qu’on peut considérer comme un bachelardisme problématique: il faut notamment interroger les effets de la torsion lexicale qu’Althusser a imposée à la notion de rupture épistémologique en parlant plutôt de coupure, la façon dont il l’a transposée des sciences de la nature à la science de l’histoire, et les motifs du renoncement final d’Althusser à cette lecture de l’œuvre de Marx d’inspiration bachelardienne.
L’histoire bachelardienne des sciences dans l’épistémologie de Louis Althusser
Audrey Benoit
Althusser a donné une postérité au concept de rupture épistémologique dans la « lecture symptomale » qu’il fait de Marx, cette réappropriation de Bachelard soutenant sa critique de l’« idéalisme empiriste ». En offrant une alternative aux interprétations historicistes du matérialisme de Marx, Althusser pose les jalons d’une épistémologie critique, attentive aux enjeux politiques de la construction conceptuelle des objets de la connaissance.
Faut-il rompre à coups de marteau ? Deux lectures de la rupture épistémologique dans la sociologie de Pierre Bourdieu
Elsa Rambaud
Bourdieu a transformé la rupture épistémologique bachelardienne pour l’adapter à la connaissance du monde social. Mais il convient de se demander ce qu’implique une pleine sociologisation de l’impératif de rupture avec le sens commun : selon la « loi de la bipolarité des erreurs », cette rupture peut elle-même devenir un obstacle si elle est conçue de façon rigide et ne s’accompagne pas d’une analyse critique et réflexive des pratiques scientifiques.
Jean-Claude Passeron et la critique du bachelardisme naturaliste en sociologie
Lucie Fabry
Jean-Claude Passeron a mis à distance le bachelardisme du Métier de sociologue, en creusant l’écart entre l’épistémologie des sciences de la nature et celles des sciences socialess dans Le Raisonnement sociologique. Il convient d’interroger ce qui est rejeté et ce qui est maintenu de la première mouture du bachelardisme en sociologie dans l’affirmation progressive par Passeron de ce pluralisme épistémologique.
« Il ne faut pas trop médire des images ». Imagination matérielle et fantastique transcendantale
Frédéric Fruteau de Laclos
Alexandre Koyré écrit, dans un texte où il mentionne pourtant les travaux de son « collègue et ami » Gaston Bachelard, qu’« il ne faut pas trop médire des images ». À l’instar d’autres auteurs comme Mikel Dufrenne, il a ainsi défendu l’idée que l’imagination joue un rôle de premier plan dans la production de connaissances, contrairement à ce que laisse penser la coupure inhérente à la pensée bachelardienne.
Bachelard, auteur de science-fiction ? Sur un cas extrême d’anti-bachelardisme dans les années 1980
Vincent Bontems
Sous couvert d’écrire de l’épistémologie, Bachelard serait-il un auteur de science-fiction ? C’est du moins la thèse défendue, en 1988, par l’économiste Paul Chanier, qui prend pour cible une figure largement fictive de Bachelard dans le but de remettre en cause la théorie de la relativité restreinte. Cette forme extrême d’anti-bachelardisme permet de dégager certains enjeux de la référence à Bachelard dans les années 1980 et d’éclairer rétrospectivement ceux des années 1960-1970.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
alexisannebraun (6 janvier 2025). Lucie Fabry et Sophie Roux (éds.) Bachelardismes et anti-bachelardismes. Controverses épistémologiques des années 1960. Paris, Classiques Garnier, 2024. Mathesis. Consulté le 17 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/130y1